Ce glossaire vivant rassemble les mots-clĂ©s du Protokin, reliĂ©s Ă leurs gestes, Ă leurs contextes et Ă leurs sources. Chaque terme est une porte d’entrĂ©e, toujours rĂ©visable, vers les rĂ©gimes du champ protokinien. Ici, les dĂ©finitions s’accompagnent de rĂ©sonances visuelles et sonores.Â
Rôle protokinien : créer un index vivant, non clos, des concepts et gestes.
Contenu :
Définitions + contexte d’émergence (pas seulement “signification”).
Liens croisés entre termes et pages de pratique/critique.
Icônes ou mini-schémas pour chaque terme.
Intention : permettre un accès rapide au champ, tout en maintenant la dimension ouverte et modulaire.
Position : Protokinien, relié directement aux autres régimes via le vocabulaire.
Flux : Envoie vers Théorie, Schémas, Pratiques et Critique ; reçoit des ajouts du Fil vivant et des Ressources.
Fonction : Servir de passerelle lexicale et conceptuelle entre tous les contenus.
Courant de pensée, associé notamment à Nick Land, qui prône l’intensification des processus techno-capitalistes afin de provoquer leur dépassement ou leur effondrement vers un avenir post-humain. Il s’agit d’une vision téléologique extrême orientée vers un « point Oméga » futur où l’humain serait supplanté par la machine ou une Singularité à venir. Par contraste, la perspective protokinienne rejette cette téléologie : plutôt que de pousser le système en place jusqu’au gouffre, elle valorise un recommencement continu du potentiel présent. Là où l’accélérationnisme cherche à détruire l’ordre en intensifiant ses propres logiques, le Protokin œuvre à sa subversion en réactivant une force vitale plus originaire excédant le système établi. Il s’agit dès lors de rouvrir des possibles oubliés ici et maintenant, plutôt que de spéculer sur un dépassement futuriste programmé.
Geste expressif correspondant à l’instant de tension perceptive où une forme émerge à la lisière du chaos sans que son contour soit encore fixé. Appréhender, au sens protokinien, c’est se tenir au bord du geste, dans l’hésitation fertile entre le virtuel et l’actuel. Plutôt que de chercher à éliminer l’incertitude, on l’accueille comme la condition même de l’apparition du sens. Ce moment précaire – un entre-deux intensif – permet de pressentir sans savoir, de sentir sans encore nommer. L’appréhension n’est pas une perception passive mais un ajustement dynamique : le sujet qui appréhende n’est pas un spectateur détaché, il est en co-émergence avec le phénomène naissant. Comme l’exprime Francisco Varela, le « soi » n’est pas une substance préexistante mais un nœud dynamique de résonance entre l’organisme et son environnement. En ce sens, l’appréhension protokinienne incarne ce couplage vivant et incarné où le monde et le sujet se forment ensemble dans un frémissement avant toute forme figée.
Acte de « tenir ensemble » (étymologiquement com-prendre), c’est-à -dire de tisser une cohérence provisoire à partir d’un flux d’expériences sans le figer. Comprendre, dans la logique du Protokin, n’est jamais enfermer un sens dans une forme définitive, ni dominer un objet de l’extérieur. C’est au contraire s’accorder à un différentiel de forces et entrer en résonance avec une structure mouvante. La compréhension surgit lorsqu’un rythme auparavant chaotique devient suivi comme une forme cohérente, que l’esprit peut accompagner sans qu’il se rigidifie totalement. Comprendre revient ainsi à faire partie du phénomène que l’on comprend plutôt qu’à s’y surplomber. Dans la perspective protokinienne, la compréhension est inséparable de l’action et de l’expérience vécue : elle émerge de l’agir lui-même, en prolongeant le geste dans la pensée, plutôt qu’en appliquant un schéma préétabli. On voit ici se rejoindre la vision de Varela pour qui connaître, c’est co-naître avec le processus vivant en cours.
Concept développé par Francisco Varela (avec E. Thompson et E. Rosch) désignant une approche de la cognition comme action incarnée. Plutôt que de considérer l’esprit comme un récepteur de données objectives, l’énaction affirme que la connaissance résulte de l’émergence d’un monde à travers l’activité sensorimotrice d’un être corporel. L’organisme et son milieu co-définissent ensemble la réalité vécue : il n’y a pas de sujet cognitif pré-donné, mais un couplage structurel en perpétuelle formation. Comme le souligne Varela, « le “soi” n’est pas une substance mais un nœud dynamique, un événement de résonance entre l’organisme et son environnement ». En d’autres termes, l’esprit n’est pas séparé du corps : la pensée naît du geste et de l’expérience situés. La perspective protokinienne s’aligne sur cette vision en voyant le savoir comme un processus émergent et incorporé plutôt que comme une représentation abstraite détachée du vécu.
Notion empruntée à Bernard Stiegler, qui désigne la mémoire externe accumulée par l’humanité au fil de la technique. Il s’agit du processus par lequel l’homme externalise son savoir et son expérience dans des objets, des outils, des supports (écriture, technologies…), constituant une mémoire épiphylogénétique qui s’ajoute à la mémoire biologique. Stiegler y voit une condition de l’évolution humaine (chaque génération héritant de techniques et savoirs) mais aussi un danger : cette extériorisation peut s’accompagner d’une perte de l’expérience vécue, d’une « perte de l’esprit » due à la médiation technique. La lecture protokinienne reprend cette idée tout en la nuançant : l’outil peut être compris non comme une simple dépossession du geste vivant, mais comme une extension transductive de celui-ci. Autrement dit, la technique prolonge la vibration du vivant dans un support nouveau et conserve l’énergie du geste « non comme mémoire morte, mais comme puissance différée ». L’épiphylogenèse, dans cette optique, n’éteint pas la vitalité du geste originel mais l’inscrit dans la durée sous forme d’habitus, de culture, tout en laissant subsister un fond virtuel non épuisé prêt à engendrer de nouvelles émergences.
Processus par lequel un être ou une forme se constitue progressivement à partir d’un fond préindividuel métastable, en résolvant des tensions internes et externes. Le philosophe Gilbert Simondon a montré que l’individuation n’est jamais un événement ponctuel achevé, mais un processus continu qui se prolonge tant qu’une réserve de potentialités subsiste dans le préindividuel. L’individu émerge ainsi d’un champ de tensions intenses – un milieu préindividuel – par phases successives d’actualisation (appelées transductions) qui coordonnent un état informe avec une forme en cours de formation. Dans la perspective protokinienne, l’individuation est une genèse expressive et relationnelle : l’être n’est pas donné d’avance, il naît d’un mouvement de différenciation qui implique son milieu et demeure toujours ouvert. Chaque geste, chaque forme vivante est le résultat d’une synchronisation de plusieurs régimes d’intensité plutôt qu’une entité figée une fois pour toutes – d’où une ontologie du devenir plutôt que de l’être statique, en accord avec l’idée simondonienne d’une ontogenèse perpétuellement en cours.
Mode de lecture radicalement incarné et dynamique, qui vise à remonter en deçà du texte constitué pour y déceler le geste vivant qui l’a engendré. Il ne s’agit plus de lire pour interpréter un contenu, mais de lire pour sentir le mouvement antérieur aux mots. Une lecture protokinienne cherche dans les œuvres non le discours explicite, mais les tensions primordiales et forces de vie qui les traversent et qui ont motivé l’acte d’écrire. Elle remonte le courant du sens tel un archéologue du désir de penser, traquant les irruptions de gestes, de rythmes ou de plis qui trahissent un corps au travail sous la lettre. Cette approche n’est ni philologique (orientée sur le texte fini), ni surplombante, mais au contraire pulsionnelle, cinétique et impliquée. Le lecteur protokinien déscolarise le savoir en le replaçant dans l’écologie concrète du vivant : il relie les idées aux besoins du corps, aux rythmes et contraintes du monde sensible (faim, fatigue, saison, milieu) qui les ont vu naître. En pratique, cela revient à diagnostiquer les forces à l’œuvre dans un texte, à retourner à la scène gestuelle primordiale (ce qui pousse à dire) et à déplier un flux de pensée en mouvement plutôt qu’un système figé. Lire protokiniennement, c’est ainsi « retrouver le geste originaire derrière le texte, le désir de savoir avant le savoir, et le besoin du corps dans le monde avant le concept dans l’école ». Une telle lecture fait apparaître la part rythmique, inchoative du discours – non pas ce qu’un texte dit, mais ce qu’il fait émerger, réinscrivant la pensée dans la vie qui la porte.
Terme désignant une conception de la genèse de l’être centrée sur l’expression et le devenir. Plutôt que de voir l’ontogenèse (formation de l’individu ou de la forme) comme le déploiement d’une essence fixée, l’ontogenèse expressive la conçoit comme un processus créateur où gestes, formes et sens émergent ensemble d’un champ de tensions avant toute stabilisation. Dans la perspective du Protokin, c’est le geste qui précède la forme et non l’inverse : le vivant se constitue à partir d’un milieu de différenciation intensive, dans un mouvement sans origine transcendante ni plan préétabli. Le monde y est envisagé comme pré-ontologique, en perpétuel accouchement de lui-même, chaque apparition n’étant qu’une cristallisation provisoire d’un flux en transformation continue. Cette idée, inspirée par Simondon, Varela, James et d’autres, propose que l’être se comprend comme devenir expressif plutôt que comme substance figée. L’ontogenèse expressive est donc une ontologie du processus : ce qui intéresse n’est pas l’état final, mais la dynamique par laquelle une cohérence naît du virtuel et reste toujours inachevée.
Philosophie inspirée par William James, affirmant la primauté de l’expérience vécue et des effets pratiques sur les essences abstraites ou les vérités figées. Le pragmatisme radical de James (aussi appelé empirisme radical) propose que la réalité est constituée par le flux continu des événements et des ressentis, et que les concepts ou théories ne valent que par les changements concrets qu’ils produisent dans ce flux. Plutôt que de chercher des fondations transcendantes, James invite à partir du continuum de l’expérience : ce sont les liaisons et transitions sensibles qui fabriquent le réel, plus que les catégories a priori. Dans le contexte protokinien, ce pragmatisme se traduit par une valorisation du processus vivant sur les structures fixes : le sens et la vérité émergent de la pratique, du vécu en situation, au lieu d’être imposés de l’extérieur. Ainsi, la connaissance n’est jamais détachée de la vie qui la génère – une idée en phase avec l’accent mis par le Protokin sur le caractère inachevé, évolutif et incarné de toute signification.
Acte de saisir originaire, entendu non pas comme une prise de possession violente d’un objet, mais comme une adhérence rythmique au monde. Dans le paradigme protokinien, préhender signifie se synchroniser charnellement avec les rythmes du milieu. Le vivant s’agrippe à la réalité à la manière d’un organisme épousant une vague, plutôt qu’en s’imposant de l’extérieur. Par exemple, lorsqu’un animal capture une proie ou qu’un humain utilise un outil, il s’établit un ajustement mutuel fin entre le geste et les contraintes de l’environnement. L’outil lui-même prolonge cette préhension énergétique : loin d’être une simple extériorisation du geste, il forme une interface de co-variation avec le milieu. Bernard Stiegler a montré que l’homme externalise sa mémoire et son savoir dans la technique (mémoire épiphylogénétique), ce qui est à la fois source de progrès et risque de perte de vécu. Or, la perspective protokinienne souligne que la préhension outillée reste du domaine du vivant : l’outil prolonge la vibration du geste dans un support nouveau sans rompre le lien, conservant l’énergie du mouvement « comme puissance différée » plutôt que comme trace morte. En somme, la préhension est un geste de contact et de consonance avec ce qui nous entoure, une synchronisation sensible avec le réel.
Désigne le devenir durable du geste, c’est-à -dire le processus par lequel une expression éphémère s’inscrit, se stabilise sans se figer, dans un monde partagé. Si le protokinien renvoie au virtuel pur et le protokinésique à l’instant gestuel naissant, la protokenésie en est la trajectoire d’inscription : elle permet qu’un geste singulier laisse une trace, devienne habitude, style, langage ou mémoire, sans pour autant perdre toute plasticité. Ce régime correspond à la mise en mémoire active du geste : le mouvement s’y transforme en forme, l’intensité en structure, mais de façon inachevée et évolutive. C’est grâce à la protokenésie qu’un geste peut se répéter, se diffuser et faire culture, tout en restant ouvert à des variations nouvelles. On peut y voir l’équivalent d’une épigenèse expressive : un processus de création de formes collectives vivantes (langages, techniques, habitudes) qui n’épuise jamais complètement le fond virtuel d’où elles proviennent. Autrement dit, même lorsqu’une innovation s’incorpore dans une histoire ou une tradition, il subsiste toujours une réserve non formulée, prête à alimenter d’autres devenirs.
Champ pré-ontologique de tensions intenses d’où surgissent gestes, formes et significations avant toute stabilité. Le Protokin n’est ni une substance ni un code figé, mais une matrice dynamique où bouillonne le virtuel avant qu’il ne se métamorphose en formes naissantes. Il s’entend comme le mouvement pur antérieur à toute chose : l’irruption sensible du sens avant le signe, l’existence partagée avant l’institution, le rythme vivant avant l’architecture du monde. Contrairement aux ontologies classiques, il inverse la perspective : ce n’est pas le corps qui produit le geste, mais le geste primordial qui rend possible le corps et l’individu. On est ainsi face à une ontologie du devenir plutôt que de l’étant : un « champ de différenciation sans stabilisation » où toute identité est provisoire et en mutation continue. Ce cadre conceptuel puise dans la philosophie de l’individuation de Simondon (l’être préindividuel, la transduction), dans la pensée de la technique de Stiegler (mémoire épiphylogénétique), dans l’énaction de Varela (cognition incarnée émergente) et dans le pragmatisme radical de William James (primat de l’expérience vécue sur l’abstrait). Le Protokin propose en somme une méta-logique de l’émergence expressive : il décrit comment le réel se génère de l’intérieur par modulations et tensions, plutôt qu’il ne se conforme à un modèle transcendant ou à une essence immuable.
Régime d’être correspondant au passage à l’acte gestuel, au moment de l’actualisation d’une virtualité en mouvement naissant. Le protokinésique représente l’événement brut du geste, avant toute fonction utilitaire ou tout code signifiant. C’est le surgissement d’une forme en cours, sans objectif conscient ni représentation figée : une pure dynamique corporelle (torsion, élan, inflexion…) où la tension intérieure se décharge vers le monde extérieur. On peut y voir un déséquilibre créateur, une brèche générative où quelque chose advient sans être encore nommé. Ce régime correspond ainsi à l’émergence du geste lui-même – un frémissement pré-signifiant, infra-logique, qui fait vibrer la frontière entre l’organisme et son milieu. En termes simondoniens, il coïncide avec le moment crucial de l’individuation du vivant, lorsque « une tension du milieu commence à former une membrane, une direction, un devenir ». Autrement dit, ce que Simondon appelait modulation (l’ajustement réciproque entre forme et information) se réalise ici comme geste naissant : une transduction vivante plutôt qu’un programme imposé. Le protokinésique incarne donc la phase expressive où le possible prend corps, où le sens s’amorce dans la chair avant d’être concept.
Relatif au fond originaire d’où émanent gestes et formes, avant toute individuation complète. Le régime protokinien renvoie au plan de virtualité pure qui précède les formes sans être pour autant un chaos informe. Il s’agit d’une sorte de réserve intense de potentialités : une « ontologie sans être, une énergie sans cause », un champ pré-individuel au sens de Simondon où les formes existent à l’état germinal. Tout y est « encore possible sans être déjà défini ». Ce milieu virtuel n’est pas passif : il est traversé de rythmes et d’affects sans forme, un champ de différenciation intensive qui porte en germe toutes les formes de vie possibles. En d’autres termes, ce que Simondon nommait l’être préindividuel, le Protokin le qualifie de protokinien. C’est le socle vibratoire antérieur à l’individu : une matrice vivante de tensions où chaque entité à venir puise son énergie. Le protokinien demeure présent en chaque geste concret comme la part de virtualité non encore réalisée, assurant que rien n’est jamais totalement figé et que toute forme reste ouverte à de nouvelles métamorphoses.
Expression désignant le freinage délibéré des processus de synthèse et de mélange dans la modernité. Nick Land l’emploie pour décrire comment la civilisation occidentale, après les Lumières, a dû poser des limites à son ouverture aux altérités et à la nouveauté afin d’éviter sa propre dissolution. En effet, une « ouverture illimitée » au nouveau équivaudrait à une dissolution de l’ordre, si bien que la société ouverte se voit forcée de policer ses échanges avec l’extérieur. Land montre que Kant, par sa philosophie critique, introduit subrepticement des catégories limitatives – une inhibition de la synthèse – qui garantissent la viabilité de la raison et de l’ordre social en circonscrivant d’avance l’altérité possible. De même, des structures comme la famille patrilinéaire ou les frontières nationales agissent comme des gardes-fous cachés, empêchant un brassage sans contrôle des flux (biologiques, culturels, économiques) tout en permettant assez de nouveauté pour profiter du progrès. L’idée de synthèse inhibée révèle ainsi les mécanismes par lesquels la modernité maintient un équilibre entre ouverture et conservation. La pensée accélérationniste, quant à elle, suggère de lever ces inhibitions pour laisser se déchaîner une synthèse totale – aux risques et périls de l’ordre établi. Le Protokin, opposé aux visées téléologiques, préfère quant à lui redécouvrir en-deçà de ces structures inhibitrices une force primordiale excédentaire, pour subvertir le système non par explosion future, mais par infusion d’un potentiel plus originaire dans le présent.
Concept clé chez Simondon, définissant le mode de propagation d’une individuation à travers un milieu : la transduction est le processus par lequel un déséquilibre initial se résout en engendrant progressivement une forme cohérente, chaque étape créant les conditions de la suivante. En d’autres termes, c’est une genèse pas-à -pas d’une structure à partir d’un champ de tensions. Simondon parlait d’« ontogenèse transductive » pour souligner que l’être se forme par différentiation continue plutôt que par application de modèles fixes. Dans le cadre du Protokin, la transduction désigne ce qui assure la coordination entre un fond informe et une forme en train de se former : le Protokin agit comme une matrice d’individuation qui met en tension le virtuel et l’actuel de sorte qu’une nouvelle cohérence émerge. C’est un mode de modulation vivant du réel, opposé à l’idée d’un plan prédéfini ou d’un simple programme. En tant que telle, la notion de transduction souligne le caractère relationnel et créatif de l’émergence : chaque forme naît d’une suite d’ajustements réciproques entre elle et son milieu, sans transcendance, ce qui correspond précisément à la logique protokinienne du devenir.