André Leroi-Gourhan (1911‑1986, anthropologie préhistorique) – Il voit l’émergence de la parole et de la pensée comme enracinées dans une gestualité technique antérieure. Dans Le Geste et la Parole, il développe une anthropologie du rythme, où le corps en mouvement institue le symbolique avant toute codification. Le geste, la synchronisation corporelle et la modulation tonique constituent les fondements sensorimoteurs du lien social. Le langage ne naît pas d’un code, mais d’un « espace d’indétermination motrice » où le vivant explore son rapport au monde. Son vocabulaire (geste libre, rythme anthropologique, préhension, insertion dans l’existence) rejoint directement le protokin comme fond infra-symbolique du commun.
Ouvrages-clés : Le Geste et la Parole (1964–65), Milieu et techniques (1945).
Daniel Stern (1925‑2012, psychiatrie du développement) – Il décrit le monde du nourrisson comme structuré par des « formes dynamiques vitales » : flux affectifs, rythmes corporels, intensités tonales partagées. L’intersubjectivité s’y établit par une synchronie gestuelle et affective, bien avant l’apparition du langage. Ce champ préverbal d’expérience relationnelle, amodal et incarné, constitue une forme de proto-communication expressive, où chaque modulation du corps signifie sans signes. Cette théorie rejoint le protokin comme dynamique de sens incarnée, affective et rythmique, antérieure à toute articulation discursive.
Ouvrages-clés : Le Monde intersubjectif du bébé (1985), Le Sens d’une émergence (2004).
Colwyn Trevarthen (né en 1931, neuropsychologie du développement) – Il met en évidence l’existence d’une intersubjectivité primaire chez le nourrisson, fondée sur la résonance corporelle, la co-régulation affective et le jeu moteur spontané. Cette capacité innée à entrer en synchronie gestuelle et émotionnelle constitue une forme d’échange protokinien : un dialogue incarné sans langage, où le rythme partagé fait sens. Trevarthen décrit une musicalité primitive du geste et du regard, qui organise le lien social dès les premières semaines de vie.
Ouvrages-clés : Communicative Musicality (avec Malloch, 2009), articles sur la proto-conversation et l’affect rythmique.
Francisco Varela, Evan Thompson, Alva Noë (cognition incarnée / énactive) – Le paradigme énactif défend l’idée que la cognition émerge de l’action sensorimotrice dans un couplage dynamique avec le monde. Le sens naît de la régulation active du corps en contexte, sans besoin de représentations internes ou de langage préétabli. La perception est en elle-même un acte rythmé, affecté, orienté, corporel. Le protokin s’inscrit dans cette continuité : comme modulation corporelle expressive, il précède toute symbolisation. Varela et Thompson parlent de « sens incarné », de « contingences sensorielles », autant de notions qui font écho à une genèse non linguistique du commun.
Ouvrage-clé : The Embodied Mind (1991).
Antonio Damasio (né 1944, neurosciences cognitives) – Il introduit le concept de proto-soi : une cartographie neuronale continue des états corporels, inconsciente et pré-réflexive, à la base de l’émergence du sujet. Le sens et l’émotion dérivent de marqueurs somatiques inscrits dans le corps, avant toute élaboration symbolique. Ce substrat affectif sensorimoteur constitue une base neurobiologique du protokin : il s’agit d’un langage corporel pré-signifiant, qui module la présence et la relation. Damasio rejoint ainsi l’idée que le sens advient dans la chair avant de passer par les signes.
Ouvrages-clés : The Feeling of What Happens (1999), Looking for Spinoza (2003).
Susanne Langer (1895‑1985, philosophie de l’art et de l’émotion) – Elle théorise la musique et l’art comme formes symboliques primaires, directement issues de schèmes rythmiques incarnés. Le geste artistique exprime des « formes dynamiques de l’émotion » : non des contenus intellectuels, mais des tensions motrices et tonales. Cette expressivité pré-conceptuelle, analogique, vivante, précède toute représentation. Le protokin peut être vu comme le niveau zéro de cette expressivité symbolique, là où le sens est geste, souffle et modulation affective.
Ouvrages-clés : Philosophy in a New Key (1942), Feeling and Form (1953).
Jean-Marie Pradier (1939–2020, anthropologie du corps et du spectacle) – Il explore les formes de transmission non verbales dans les traditions corporelles (théâtre, danse, rituel). Ces pratiques s’appuient sur une mémoire sensorielle, rythmique et affective qui traverse les corps, en deçà de toute institution discursive. Il décrit une expressivité incarnée, transmise par la répétition gestuelle et la résonance motrice, qui prolonge les formes protokiniennes dans la culture. Le corps est ici archive vivante d’un lien sans code, d’un commun incarné.
Ouvrage-clé : Anthropologie des pratiques corporelles (2014).
Étienne Souriau (1892–1979, philosophie de la création) – Il conçoit la forme comme une puissance en tension, un mouvement en quête d’actualisation, une « instauration » plutôt qu’un objet figé. La forme se cherche, se module, s’exprime avant de se stabiliser. Cette génétique expressive correspond au protokin comme modulation affective pré-symbolique. Le corps y est porteur de formes en devenir, rythmes en émergence, intensités sans code. Le protokin peut être lu comme cette instauration vivante du sens dans la matière.
Ouvrages-clés : Les Différents modes d’existence (1943), L’Instauration philosophique (1956).
Alain Berthoz (né 1940, neurophysiologie sensorimotrice) – Il montre que la perception s’enracine dans l’anticipation motrice : le cerveau construit en permanence des schèmes d’action qui orientent l’attention et la compréhension. Le corps perçoit en bougeant, et bouge en percevant. Le protokin, comme couplage rythmique du corps et du monde, rejoint cette logique d’une cognition active, incarnée, prédictive. Le geste n’est pas une réponse, mais une forme de savoir vivant.
Ouvrages-clés : Le Sens du mouvement (1997), La Décision (2003).