Maurice Merleau-Ponty (1908‑1961, phénoménologie) – Il voit la perception et le sens comme enracinés dans le corps pré-réfléchi. « Le corps propre » est déjà un sujet anonyme en relation rythmique avec le monde : « Le propre corps est dans le monde comme le cœur dans l’organisme », et l’agent de la perception est cette « subjectivité du corps » pré-réfléchie. Merleau-Ponty insiste sur le schème corporel vivant et sur la chair, toujours déjà expressive (il évoque même la « présence rythmique de la chair »). Son vocabulaire (vibration, prégnance, modulation, rythme, chair) résonne fortement avec le « protokin ». Ouvrages-clés : Phénoménologie de la perception (1945), Le Visible et l’Invisible (1964).
Henri Maldiney (1909‑2003, esthétique phénoménologique) – Connu pour son analyse de l’œuvre d’art comme forme qui « se forme elle-même ». Il décrit la « dimension génétique-rythmique » de la forme : le rythme intérieur de la forme dicte sa motricité et sa tonalité affective avant toute représentation objective. Il parle de la présence rythmique de la forme (« rythme de la forme », « pregnance ») à laquelle le corps « obéit », une chair qui répond à une chair. Sa pensée rejoint celle du protokin en soulignant un mouvement sensorimoteur originaire, non codifié, générateur de sens. Ouvrage-clé : Regard, Parole, Espace (2012).
Gilbert Simondon (1924‑1989, ontologie de l’individuation) – Il propose la notion de transduction : un processus par lequel des éléments hétérogènes d’un système s’informent et se reconfigurent mutuellement, produisant de nouveaux états d’être. Autrement dit, la « connaissance de l’information inhérente aux éléments d’une structure ouverte peut produire de réels effets ontologiques ». Cette idée de formation dynamique continue (du pré-individuel au corps individuel) résonne avec le protokin comme modulation primordiale du sensible. Simondon emploie un vocabulaire d’« individuation », « informe », « pré-individuel » et « transduction ». Ouvrages-clés : L’Individuation à la lumière des notions de forme et d’information (1964), L’Individuation psychique et collective (1989).
Henri Bergson (1859‑1941, vitalisme et mouvement) – Dans Matière et mémoire, il montre que toute perception implique une tendance motrice inscrite dans le corps. Par exemple, pour percevoir un mot parlé, le cerveau mobilise automatiquement des schémas moteurs d’articulation. « Tous les faits concourent à démontrer l’existence d’une tendance motrice… à en établir le schème ». Ainsi la sensorialité est inséparable d’un mouvement corporel originel. Son vocabulaire (tendance motrice, schème moteur, intuition, durée vécue) préfigure l’idée que sens et geste naissent ensemble avant le langage.
Wilfred R. Bion (1897‑1979, psychanalyse britannique) – Théoricien des premières expériences sensorielles de l’enfant. Il distingue des « éléments bêta », données sensorielles‑affectives brutes et inchoatives, non encore assimilées par la pensée. Les bêta-éléments sont des impressions « très concrètes », non perçues comme phénomènes mais comme de « choses en soi ». Par son « fonction alpha », le psychisme les métamorphose en éléments pensables. Cette zone pré-psychique de données non codifiées se rapproche de la modulation incarnée du protokin (des « éléments bêta » ressemblent à un proto-langage corporel). Ouvrages-clés : Learning from Experience (1962), Elements of Psychoanalysis (1963).
Antonio Damasio (né 1944, neurosciences cognitives) – Il introduit le proto-soi : une représentation neuronale continue de l’état du corps, antérieure à toute conscience réflexive. Le proto-soi est « un ensemble cohérent de schémas neuronaux représentant moment par moment l’état de l’organisme », inconscient du sujet. Ce fond sensorimoteur d’« expérience vécue » (les marqueurs somatiques) est à la base de la naissance du sens et de l’émotion. L’idée d’un proto-langage corporel affectif antécédent au langage verbal trouve ainsi un écho chez Damasio. Ouvrages-clés : The Feeling of What Happens (1999), Looking for Spinoza (2003).
Cognition incarnée/énactive (e.g. Francisco Varela, Evan Thompson, Alva Noë) – Le paradigme énactif voit la cognition comme émergeant de l’action sensorimotrice . Varela et al. soutiennent que percevoir et comprendre requiert un couplage dynamique entre organisme et environnement (concepts d’autopoïèse, sense-making). Cette posture rejoint le protokin en ce qu’elle remet en cause toute vision de l’information comme code abstrait : le sens naît dans le déploiement corporel spontané. Termes clés : sensorimoteur, contingences sensorielles, énaction, incarnation. Ouvrage-clé : The Embodied Mind (Varela/Thompson/Rosch, 1991).
Affections et commun(s) – Plusieurs auteurs politiques/philosophiques soulignent un « pré-discursif » commun. Par exemple, Julia Kristeva théorise la chora sémiotique (flux ritmiques pré-linguistiques du corps maternel), et Jean-Luc Nancy décrit la « communauté de sensibles » où un sens naît hors langage. Les théoriciens du « commun » (Virno, Negri, Stengers, Lazzarato…) insistent sur des pré-structures partagées (rituelles, affects, rythmes sociaux) qui engendrent le sens social. Bien que non cités directement ici, leurs notions de précommun, affect commun, transindividuation ou biopouvoir convergent vers l’idée d’une modulation primordiale du vivre-ensemble, analogue au protokin.
Sources : Les analyses citées proviennent notamment de travaux sur Merleau-Ponty, Maldiney, Simondon, Bergson, Bion, Damasio et les sciences cognitives incarnées. Ces références montrent que le « protokin » s’inscrit dans un réseau d’idées convergeant vers une modulation corporelle, rythmique et affective, support originaire de la genèse du sens et de la socialité.