La pensĂ©e protokinienne se dĂ©ploie comme une ontologie du geste vivant, refusant la clĂŽture des dualismes classiques (nature/culture, corps/esprit, sujet/objet). Afin dâĂ©clairer la dynamique de ce champ, il convient de distinguer plusieurs opĂ©rateurs fondamentaux : les rĂ©gimes dâĂ©mergence, les libidos, les variations thimiques, les gestes premiers, les attentions, les intentions et la temporalitĂ©. Loin de constituer des essences, ces catĂ©gories fonctionnent comme des vecteurs diffĂ©rentiels, permettant de cartographier la fluiditĂ© du vivant.
Le Protokin distingue trois régimes dynamiques :
đ Protokinien : champ prĂ©individuel de tensions intensives, excĂšs virtuel, oĂč vibrent les libidos et les Ă©pithymiai.
đż ProtokinĂ©sique : actualisation expressive du geste, surgissant dans son inachĂšvement et sa plasticitĂ©.
đïž ProtokenĂ©sie : stabilisation relative, oĂč les gestes se sĂ©dimentent en institutions, rĂ©cits, normes et techniques.
đ Cette tripartition exprime une tension constitutive : lâexcĂšs et lâouverture du vivant contre la clĂŽture et la codification des formes.
Les libidos protokiniennes dĂ©signent des intensitĂ©s orientĂ©es, incarnĂ©es, toujours situĂ©es. Elles ne prĂ©cĂšdent pas le geste mais Ă©mergent avec lui : câest le geste qui gest(e) la libido.
Exemples majeurs :
đ± Vivendi (dĂ©sir de vivre, persĂ©vĂ©rer, croĂźtre)
đïž Sentiendi (dĂ©sir de sentir, Ă©prouver, affecter/ĂȘtre affectĂ©)
đš Imaginandi (dĂ©sir dâinventer, figurer, transfigurer)
đ Sciendi (dĂ©sir de connaĂźtre, explorer, comprendre)
âïž Rationi (dĂ©sir dâordonner, classer, formaliser)
Dâautres gradients apparaissent selon les situations : machinandi (dĂ©sir de faire), fugitiva (dĂ©sir de retrait), communicandi (dĂ©sir de partager). Elles se dĂ©ploient comme Ă©cologie inter-libidinale, circulant entre vĂ©gĂ©tal, animal, humain et technique.
Le thymos dĂ©signe la coloration affective qui module chaque geste. Les variations thimiques ne sont pas dĂ©coratives mais constitutives : elles donnent la tonalitĂ©, la vitesse, la chaleur, lâintensitĂ©.
Exemples : colÚre, apaisement, curiosité, lassitude, euphorie.
đ Elles sont aussi le lieu de la conflictualitĂ©, oĂč se noue la tension entre expansion et retrait, invention et norme.
Avant toute stabilisation culturelle ou technique, il y a le geste premier. Trois archétypes se distinguent :
đ€Č PrĂ©hension : geste vital dâappropriation immĂ©diate (saisir, tenir, capter) â liĂ© au protokinien.
đ ApprĂ©hension : geste perceptif et affectif (se tourner vers, sâorienter, craindre ou dĂ©sirer) â liĂ© au protokinĂ©sique.
đ§ ComprĂ©hension : geste rĂ©flexif et symbolique (relier, interprĂ©ter, transmettre) â liĂ© Ă la protokenĂ©sie.
đ Ces gestes forment une dynamique transductive : de la capture du monde (prĂ©hension) Ă sa coloration thimique (apprĂ©hension), puis Ă sa stabilisation en sens partagĂ© (comprĂ©hension).
Les attentions protokiniennes dĂ©signent des maniĂšres de lire et de saisir lâexpĂ©rience. Cinq niveaux sont distinguĂ©s :
1. đ CuriositĂ© naĂŻve â Libido sentiendi/vivendi
2. đż Image analogique â Libido imaginandi
3. đ ModĂšle dynamique â Libido sciendi
4. đ§Ź Formalisme critique â Libido rationi
5. đ„ Vibration poĂ©tique â Libido transcendendi
đ Elles ne sont pas hiĂ©rarchisĂ©es mais complĂ©mentaires : chacune Ă©claire un aspect du champ.
Lâintention nâest pas premiĂšre mais seconde : elle apparaĂźt quand le geste esquissĂ© prend direction. Contrairement aux libidos (tendances vitales), lâintention suppose dĂ©jĂ une cristallisation rĂ©flexive.
đ Elle appartient donc davantage Ă la protokenĂ©sie, tout en restant inachevĂ©e.
La temporalité protokinienne est rythmique et différentielle, non linéaire. Trois traits principaux :
đ„ ExcĂšs : le geste dĂ©borde toujours ce que la protokenĂ©sie cherche Ă fixer.
đ InachĂšvement : chaque geste reste ouvert, tendu vers un possible inactualisĂ©.
âïž ConflictualitĂ© : invention contre norme, mĂ©moire vive contre archive.
đ Le temps du Protokin est un champ dâĂ©mergence, non une ligne homogĂšne.
Lâarticulation entre rĂ©gimes âĄ, libidos đ„, variations thimiques đ, gestes premiers â, attentions đ, intentions đŻ et temporalitĂ© âł constitue la trame du Protokin. PlutĂŽt quâune typologie close, cette cartographie rend compte de lâĂ©cologie diffĂ©rentielle du vivant, oĂč chaque geste ouvre un monde sans jamais lâĂ©puiser.
Prenons un geste quotidien : boire du café. DerriÚre cette banalité apparente se tisse toute la dynamique protokinienne.
1. ⥠Régimes
đ Protokinien : les virtualitĂ©s â la plante cafĂ©ier, sa libido photosynthĂ©tique, le dĂ©sir latent de chaleur et dâĂ©veil.
đż ProtokinĂ©sique : le geste vivant â moudre, sentir lâodeur, verser lâeau, porter la tasse Ă la bouche.
đïž ProtokenĂ©sie : la stabilisation â rituel social du cafĂ© du matin, institution du cafĂ© comme lieu public, standardisation industrielle (capsules, dosettes).
2. đ„ Libidos
đ± Vivendi : dĂ©sir de vitalitĂ©, chercher lâĂ©nergie.
đïž Sentiendi : plaisir sensoriel de lâodeur, de lâamertume, de la chaleur.
đš Imaginandi : invention de nouvelles maniĂšres de prĂ©parer (espresso, filtre, latte art).
đ Sciendi : curiositĂ© scientifique (effets de la cafĂ©ine, terroirs, procĂ©dĂ©s de torrĂ©faction).
âïž Rationi : normalisation (dosages, recettes, protocoles de prĂ©paration).
3. đ Variations thimiques
Excitation matinale, euphorie de la caféine.
Apaisement dâune pause partagĂ©e.
ColÚre ou impatience quand le café manque.
đ Le cafĂ© module la tonalitĂ© thymique collective (bureau, famille, terrasse).
4. â Gestes premiers
đ€Č PrĂ©hension : attraper la tasse, sentir sa chaleur.
đ ApprĂ©hension : anticipation affective â dĂ©sir, attente du goĂ»t, plaisir ou rĂ©pulsion.
đ§ ComprĂ©hension : donner du sens â âpause-cafĂ©â, moment de sociabilitĂ©, institution du cafĂ© comme culture.
5. đ Attentions
đ CuriositĂ© naĂŻve : goĂ»ter un cafĂ© inconnu.
đż Image analogique : comparer lâamertume Ă une autre saveur (chocolat, terre).
đ ModĂšle dynamique : comprendre le cycle de production (plante â fĂšve â boisson).
𧏠Formalisme critique : analyser la filiÚre (commerce équitable, standardisation).
đ„ Vibration poĂ©tique : faire du cafĂ© un moment de mĂ©ditation ou dâĂ©criture.
6. đŻ Intentions
Se réveiller, rester éveillé, partager, savourer.
đ Lâintention nâest jamais unique : elle surgit de lâentrelacement des libidos et des gestes.
7. ⳠTemporalité
đ„ ExcĂšs : lâarĂŽme dĂ©borde lâinstant, mĂ©moire olfactive qui traverse le temps.
đ InachĂšvement : chaque tasse ouvre un nouveau possible (conversation, Ă©criture, travail).
âïž ConflictualitĂ© : pause libre vs. injonction sociale (le âcafĂ© obligatoireâ au travail).
đ Ainsi, boire un cafĂ© ne relĂšve pas seulement dâune fonction biologique (cafĂ©ine), ni dâun rituel social, mais de lâensemble du champ protokinien : un nĆud oĂč se croisent rĂ©gimes, libidos, gestes, attentions, intentions et temporalitĂ©s.